Fleur Pellerin a évoqué courant décembre la création d'une "mission spectre" confiée à Joëlle Toledano, afin d'identifier des bandes de fréquences susceptibles d'offrir des possibilités avancées de partage et d'être utilisées pour des usages innovants. En collaboration avec l'ANFR notamment, la professeure des Universités doit rendre aujourd'hui ses premières pistes de réflexion, et mettre à la disposition de la ministre de l'Economie numérique des "recommandations complètes" avant le 31 mars prochain.
Dans le même temps, la Commission européenne a annoncé en début de semaine le lancement d'un nouveau groupe de travail, mené par l'ancien directeur de l'OMC Pascal Lamy, qui devra s'interroger sur l'utilisation de bande UHF (470-790 MHz) pour la TV et le haut débit sans fil. Un rapport final sera remis à Mme Kroes, membre de la Commission chargée de la stratégie numérique, pour juillet 2014. Celle-ci déclarait à ce sujet : Si nous voulons tirer profit des derniers progrès en matière de TV et d'Internet, une utilisation plus efficace des radiofréquences en Europe s'impose. C'est pourquoi nous devons dégager un nouveau consensus sur la façon d'utiliser les fréquences destinées à la radiodiffusion.
Il faudra donc sans doute encore patienter quelques mois pour voir se dessiner l'avenir des fréquences en or sur notre territoire métropolitain. Pourtant, l'Etat semble presser de lancer les enchères, puisque la loi de programmation militaire entrée en vigueur le 1er janvier 2014, prévoit d'attribuer à l'armée le résultat de cette vente estimé à 3.7 milliards d'euros, et une partie (1.55 milliard) est inscrite dans le budget 2015. Mais de la même façon que les enchères des bandes de fréquences 800MHz et 2600MHz avaient été retardées, la bande des 700MHz devrait subir le même sort.
D'un côté, cette nouvelle réattribution remue le secteur de l'audiovisuel et plus spécifiquement les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT), qui utilisent aujourd'hui ces fréquences. Elle les contraint à réduire leurs objectifs de développement : l'arrivée de nouvelles chaînes, le passage en haute définition pour certaines et l'ultra-HD seraient alors impossibles. Début janvier, les trois diffuseurs techniques TDF, NRJ et Itas Tim ont adressé au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, une lettre commune à ce sujet, où ils demandent un basculement effectif à l'horizon le plus lointain possible - 2020 au plus tôt, et souhaitent qu'au moins 7 fréquences soient dévolues à la TNT et non pas 6 comme prévu. Tout cela pour éviter selon eux "un préjudice industriel important" dû à une durée réduite d'amortissement des investissements, et "un grave préjudice" dû à un désintérêt pour la TNT, délaissé au profit d'autres réseaux TV "non régulés" (ADSL, câble, satellite).
De l'autre côté, les opérateurs Orange, SFR et Bouygues Telecom ne sont pas pressés de réinvestir. A peine deux ans se sont écoulés depuis l'attribution des dernières licences pour le déploiement de la 4G. Par ailleurs, ils font face à un fort accroissement de la concurrence avec l'arrivée de Free Mobile, qui les pousse à réduire leurs marges. Ils ne sont donc pas prêts pour remettre la main au porte-feuille.
Mais le quatrième opérateur continue de les inquiéter, car celui-ci ne cache pas son attirance vers la bande des 700MHz. Lui qui ne peut déployer aujourd'hui que sur le 2600MHz, est fortement intéressé par ces fréquences en or. De peur de se faire doubler, ses concurrents font pression sur Bercy pour qu'il impose des contraintes à Free, comme la justification d'un investissement minimum dans les réseaux mobiles, pour gagner le droit à concourir aux futures enchères.
Arnaud Montebourg semble avoir compris le message. Il a en effet déclaré en début de semaine vouloir poser une limite à l'itinérance entre Orange et Free, et ainsi pousser ce dernier à investir massivement. Même si les contrats se terminent début 2016 pour la 3G et en 2018 pour la 2G, le ministre du Redressement productif craint qu'ils soient renouvelés. Free Mobile pourrait vouloir profiter de l'itinérance au maximum pour continuer sa guerre des prix, et ainsi déséquilibrer le marché. Pourtant, il doit aussi répondre à un objectif de couverture de 75% de la population en 3G pour 2015.
D'ailleurs, Bouygues Telecom ne croit pas en la réalisation de cet objectif. Les Echos ont publié ce matin un courrier de l'opérateur adressé à son concurrent, dans lequel il lui propose à nouveau de l'aider à déployer son réseau. Mais comme en 2010 et en septembre 2012, Bouygues ne s'attend pas à avoir une réponse positive de Free. L'objectif de cette lettre est de faire réagir les autorités (les ministres concernés, l'Autorité de la Concurrence et l'ARCEP) sur l'attitude du quatrième opérateur.