Le jeu vidéo en chiffres, c'est deux milliards de joueurs, un marché qui pèse près de 120 milliards d'euros par an, et une croissance de plus de 10% par an. C'est dans ce contexte que Google a décidé de faire son arrivée sur le marché du jeu vidéo, avec l'annonce de Stadia, sa future plateforme de jeux vidéo en streaming. Le cloud gaming, ce n'est pas une nouveauté. Mais, avec Stadia, Google jette un coup de projecteur sur une technologie encore balbutiante et confidentielle.
Une bonne nouvelle pour tous les acteurs du marché existant. Mais, comme d'autres, Olivier Avaro, le patron de Blacknut, se montre critique à l'égard de Google et craint qu'avec Stadia, le jeu, l'essence même des jeux vidéo ne soit pas totalement au rendez-vous. Interview sans langue de bois.
Comment avez-vous accueilli l'annonce de Stadia, la future plateforme de cloud gaming de Google ?
"C'est une bonne nouvelle. Google est le premier géant du numérique à se positionner sur le marché des jeux vidéo en streaming. C'est un très bon coup de communication de la part de Google et une formidable publicité pour le cloud gaming et tous les acteurs déjà existants sur ce marché. Stadia n'existe pas encore mais Blacknut, oui. C'est un buzz extraordinaire, ça nous fait connaître. Ça va créer un appétit et dynamiser le secteur. Google vient de révéler un besoin d'usage. Maintenant, les gens se disent que jouer aux jeux vidéo en streaming, avec une expérience de jeu totalement dématérialisée, c'est possible. Et croyez-moi, c'est magique."
C'est comme si on libérait le génie de sa lampe
C'est une révolution dans l'univers des jeux vidéo ?
"Avec le cloud gaming, le plaisir de jouer reste le même. Et, le jeu vidéo reste une création culturelle et artistique. Mais, oui, le monde du jeu vidéo est en pleine mutation et le cloud gaming est une révolution. Car, c'est une technologie qui libère le jeu vidéo de son carcan physique. C'est comme si on libérait le génie de sa lampe. On l'a lâché dans la nature et on va découvrir d'infinies possibilités avec les jeux en streaming. En termes de créativité, c'est génial."
L'avènement du cloud gaming signe-t-il l'arrêt de mort des consoles de jeu ?
"Non, les consoles de jeux ne vont pas mourir avec l'arrivée des jeux vidéo en streaming. Déjà, le cloud gaming, contrairement à certaines consoles de jeux, n'offre pas encore l'expérience de jeu ultime, recherchée par les hardcore gamers, qui sont dans l'hyper-performance. Il y a notamment un problème de stabilité. Y'a des bugs et des coupures. La technologie du cloud gaming ne sera pas mature avant trois ou cinq ans. Et encore, elle permettra d'atteindre un très bon niveau de performance en jouant depuis son salon avec une connexion filaire ou Wi-Fi. Mais, en mobilité, y'aura toujours des problèmes de stabilité. Regardez comme on passe de la 4G à la 3G sans qu'on sache pourquoi. Il y aura donc encore une ou deux générations de console, au moins, avant que les jeux vidéo en streaming offrent le niveau de performance recherché par les puristes du jeu vidéo."
Et après ?
"Une console, c'est un jouet. Et, il y aura toujours un marché pour les jouets haut de gamme. En outre, il y aura toujours des fétichistes du hardware ou des nostalgiques. Regardez, la musique en streaming n'a pas tué le marché du vinyle. Bien au contraire."
Le problème du cloud gaming, c'est l'accès au très haut débit
Vous avez évoqué des problèmes de stabilité pour le cloud gaming. Il y en a d'autres ?
"Oui. Il y a aussi un problème de bande passante. Google promet de pouvoir jouer sur Stadia en ultra haute définition 4K. Le problème, c'est que pour avoir une bonne expérience de jeu en 4K, il faut une connexion Internet d'au moins 30 Mbit/s, voire 50 Mbit/s*, sans coupure. Tout le monde n'y pas accès. Et, autant vous le dire, le très haut débit pour tous et sans coupures, c'est pas encore pour demain. Loin de là. "
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Et Google parle de jouer sur Stadia en 8K à l'avenir ?
"C'est une question de performance, ça n'a rien d'extraordinaire. Mais, aujourd'hui, les serveurs ne sont pas assez puissants. Le cloud, ça coûte cher, très cher. Et, il va falloir des milliards d'investissement pour les datacenters aient la puissance nécessaire. Mais, pourquoi pas. Google a les moyens. Mais, qui aura un débit Internet suffisant pour jouer en 8K ? Néanmoins, ce n'est pas une ineptie car les serveurs serviront toujours à quelque chose."
Stadia, c'est une offre concurrente ou complémentaire de Blacknut ?
"Déjà Stadia n'existe pas encore alors qu'il est possible de jouer sur Blacknut depuis un moment. Stadia va s'adresser à une petite frange de la population, une élite, les hardcore gamers qui ont accès au très haut débit. Blacknut, de son côté, a un positionnement très grand public. Une modeste connexion ADSL de 6 Mbits/s suffit pour jouer sur Blacknut. En outre, on ne connaît pas encore le catalogue de jeux de Stadia mais, il sera très différent de Blacknut. Les deux propositions de service sont très différentes. Elles ne sont pas concurrentes mais complémentaires."
Avec Stadia, Google va créer une plateforme publicitaire
Selon vous, avec Stadia, quelle est la volonté de Google ?
"On ne connaît pas encore le business model de Google. Et, je ne veux pas faire de procès d'intention. Mais, aujourd'hui, l'attention des gens se portent sur le jeu vidéo. Et, avec Stadia, Google va faire ce qu'il a fait avec YouTube : capter l'attention des gens pour la monétiser. Je crains que Stadia soit plus au service de la collecte de données qu'au service du jeu vidéo. Google vend nos vies en livrant nos données à la publicité. Avec Stadia, il va créer une plateforme publicitaire plus qu'une plateforme de jeux vidéo en streaming. C'est une grande opération de détournement du jeu vidéo. C'est en quelque sorte un viol de l'essence même du jeu. Je vais rappeler une évidence, mais dans l'expression jeu vidéo, il y a le mot jeu. Et, je ne suis pas certain que ce soit la priorité de Google."
Stadia veut toucher jusqu'à deux milliards de joueurs, c'est faisable ?
"Google a en tout cas la puissance pour y arriver. Il va y avoir une forte intégration de YouTube dans Stadia. Normalement, après avoir visionné la bande annonce d'un jeu vidéo sur YouTube, il sera possible de lancer ce jeu d'un simple clic. Or, la force de Google, c'est justement la puissance de YouTube en termes d'acquisition. YouTube a une audience énorme et Google peut s'en servir comme canal d'acquisition. Comment on génère des abonnés ? C'est le nef de la guerre. Avec YouTube, mais aussi Chrome, Google Play et les TV Android, Google est correctement armé. C'est à la fois génial et dangereux. Génial pour Google et dangereux car Google a les moyens de tuer la concurrence."
Vous pensez que Google va réussir son pari ?
"C'est un jeu de dupes. Les gens savent que Google va piquer leurs données personnelles mais ils vont y aller car Google leur promet du plaisir et une expérience de jeu ultime. C'est pas forcément très éthique comme démarche mais ça peut marcher. Encore que. Google peut aussi très bien se planter. Tout ce qu'il a entrepris n'a pas été couronné de succès. Google Glass a été un échec, Google+ aussi. C'est la preuve que le pognon ne fait pas tout. En outre, Google n'est pas un spécialiste du jeu vidéo."
Et c'est un problème ?
"Le jeu vidéo n'est pas dans l'ADN de Google. Le jeu vidéo, ça ne s'improvise pas. Google a tout à apprendre. D'ailleurs, on ne sait pas quels seront les jeux proposés sur Stadia. Des tests ont été effectués sur Assassin's Creed Odyssey. On peut supposer que Ubisoft fera peut-être partie de l'aventure. Et encore, ce n'est pas sûr. Après, rien ne dit que Google arrivera à convaincre Electronic Arts, Warner et les autres gros éditeurs de jeux. Le problème, c'est la perte de valeur et l'équation valeur-prix. Comment inclure un jeu vidéo à 60€ dans un abonnement ? C'est la première interrogation et la réponse apportée par Google aura forcément un impact sur le modèle économique de Google."
Il y a une incertitude sur le modèle économique de Stadia
C'est à dire ?
"Si Stadia veut les meilleurs jeux vidéos, il va falloir les payer. Or, les jeux vidéos, ça coûte cher et il faut des serveurs assez puissants pour les faire tourner et ça coûte cher aussi. En outre, si Google compte sur la publicité, elle ne suffira pas à financer le catalogue et les infrastructures. Il y a donc fort à parier que Stadia sera payant. Si Google veut proposer une expérience de jeu ultime, on peut supposer que le prix de l'abonnement sera élevé. Stadia s'adressera alors à une élite et le réservoir de clientèle sera limitée. Et, si l'abonnement n'est pas cher, Stadia n'aura pas les moyens de s'offrir les meilleurs jeux et ne se démarquera pas de le concurrence. Dans le deux cas se pose la question de la profitabilité. L'équation est compliquée."
Pour résumer votre pensée, vous avez des doutes ?
"Il y a encore trop d'incertitudes autour de Stadia. Le modèle économique, la catalogue, l'accès des gens au très haut débit, ça fait beaucoup. Google a réussi son coup en termes de communication. Mais, c'est tout pour le moment. Je crois plus dans le projet X Cloud de Microsoft. Au moins, il y a une expertise et une clientèle. Microsoft ne vient pas de nulle part. En attendant, le buzz autour de Stadia profite à tous les acteurs du cloud gaming déjà existants. Et, c'est tant mieux."