C'est une adresse tenue secrète, un immeuble comme il y en a tant d'autres à Rennes. Dans les entrailles de ce bâtiment, se cache un trésor bien gardé, un sanctuaire auquel seulement quelques personnes ont le droit d'accéder.
Nous sommes dans l'un des six NRA que compte la ville. Un NRA (noeud de raccordement des abonnés), c'est un local technique technique sécurisé et mystérieux. Rares sont ceux qui ont le privilège de pouvoir y pénétrer. Et pour cause, un NRA, c'est un central téléphonique dans lequel aboutissent les lignes téléphoniques des abonnés. Autrefois dédié au réseau téléphonique commuté, il sert aujourd'hui pour l'ADSL, mais aussi pour les terminaux de paiement ou les alarmes de tous les abonnés qui ne sont pas encore passés à la fibre optique.
Si cet endroit est gardé au secret, c'est non seulement parce qu'il permet à des milliers de personnes d'utiliser Internet, mais aussi parce qu'il recèle des centaines de kilomètres de câbles en cuivre, ce métal qui se vend à 10000 dollars la tonne et qui attire les convoitises.
Un chantier hors-normes
Bientôt, tout ce cuivre partira dans une filière de recyclage avant de servir à d'autres fins. Orange, autrefois appelé France Télécom, s'est engagé en 2022 dans la fermeture du réseau cuivre et donc la fin de l'Internet avec l'ADSL. Un chantier d'infrastructures hors-normes qui doit durer jusqu'en 2030. Il s'agit en effet de retirer un million de kilomètres de câbles en cuivre en sous-sol, en aérien via 15 millions de poteaux, ou dans les 21000 NRA que compte la France. C'est dire l'ampleur de la tâche qui attend les techniciens d'Orange.
Forcément, tout ne va pas se faire du jour au lendemain. Car avant de fermer le réseau cuivre, il faut que tous les abonnés soient passés à la fibre optique. Voilà pourquoi Orange va procéder par étapes. Le réseau téléphonique commuté a été lancé dans les années 70, mais plus de 50 ans plus tard il sert encore, et notamment aux 6,8 millions d'abonnés qui reçoivent encore l'Internet via l'ADSL, comme le révèlent les derniers chiffres de l'Arcep, l'autorité de régulation des télécoms.
Orange va donc précéder par lots. Avec pour chacun d'eux, une fermeture commerciale, au cours de laquelle les abonnés ne pourront plus souscrire une offre ADSL, et une fermeture technique un an plus tard, à savoir le démantèlement du réseau cuivre. Il y a sept lots au total, mais seuls les trois premiers ont été rendus publics, avec :
- 162 communes dans le lot 1, avec une fermeture de l'ADSL au 31 janvier 2025
- 829 communes dans le lot 2, avec une fermeture commerciale au 27 janvier 2026
- 2145 communes dans le lot, avec une fermeture technique au 31 janvier 2027
Quant aux quatre derniers lots de communes, ils vont être révélés dans les mois à venir.
Pour savoir si votre commune est déjà concernée par la fin du réseau cuivre, vous pouvez consulter notre carte de la fermeture du réseau ADSL
"La liste des communes n'a pas été établie au hasard, révèle Eric Grand, le nouveau directeur de Orange Grand Ouest. Il s'agit uniquement de communes où la complétude fibre a été atteinte ou presque".
Fin de l'ADSL: l'exemple de Rennes
Dans la liste des 162 communes du lot 1, figure une seule très grande ville : Rennes. La capitale bretonne sera donc l'une des premières villes de France à dire adieu au réseau cuivre et à l'ADSL. "Le 30 mars 2025, 15500 foyers de l'hypercentre de Rennes ne seront plus raccordés à cette technologie, au profit de la fibre optique", assure Eric Grand. Les quartiers concernés sont : Cathédrale, Hoche, Parlement, Parcheminerie Toussaints, Liberté Champ de Mars, Saint-Louis et Vieux Saint-Etienne.
À Rennes, 96% des foyers sont raccordables à la fibre. Et dans les sept quartiers rennais où 15500 foyers sont visés par la fermeture du réseau cuivre début 2025, "il reste un millier de lignes actives en cuivre sur les 15500 qui sont concernées", détaille Eric Grand. "Il s'agit d'abonnés à l'ADSL, mais aussi de personnes qui ont le téléphone, une alarme, un fax, ou encore un terminal de paiement relié au réseau cuivre", poursuit-il.
Si il reste aussi peu de lignes actives dans ces quartiers, c'est déjà parce il n'est plus possible d'y souscrire une offre Internet avec l'ADSL, mais aussi parce que Orange est allé au devant des abonnés. "On leur a envoyé un premier courrier il y a un an, un autre il y a six mois. on a aussi fait du démarchage téléphonique et du porte-à-porte", détaille Eric Grand.
Parmi le millier de foyers qui ne sont pas encore passés à la fibre, six mois avant la fermeture technique de l'ADSL, ce n'est pas tant le coût de la fibre qui pose problème, ni même les travaux à effecteur, car généralement il n'y en a pas. "Si certaines personnes sont réticentes, c'est plutôt parce qu'elles considèrent qu'elles n'ont pas besoin de la fibre, considère Eric Grand. Ces personnes, il va falloir aller les chercher".
Le cuivre : un réseau obsolète, coûteux et énergivore
Normalement, ces personnes ne devraient pas être difficiles à convaincre. Car la fibre optique est une technologie très stable et extrêmement rapide. Tout le contraire de l'ADSL qui est complètement devenu "obsolète", convient Eric Grand. Pour s'en rendre compte, il suffit de se rendre dans les entrailles d'un bâtiment d'Orange dans le centre ville de Rennes. Au sous-sol, s'y trouvent un NRA et un NRO. Le NRO, c'est le nœud de raccordement optique, l'équivalent à la fibre du central téléphonique pour l'ADSL.
Une toute petite partie de ce local, qu'on appelle un répartiteur, gère la fibre pour 100000 locaux. Tout le reste du bâtiment est occupé par les lignes cuivre pour autant de locaux. "Mais 90% sont aujourd'hui inutilisées", nous assure un technicien. L'image est saisissante. Et pour cause : "Avec la fibre, il faut un fil aussi épais qu'un cheveu pour gérer tous les usages d'une seule ligne. Alors qu'avec le cuivre, il faut une paire de câbles pour gérer le téléphone, une autre pour gérer l'ADSL, une autre pour gérer le fax, une autre pour gérer une alarme, et encore une autre pour gérer un terminal de paiement..." Si vous devez retenir un chiffre, c'est celui-là : avec la fibre, le nombre de câbles est divisé par 32 !
Cela va sans dire que le réseau cuivre paraît hors d'âge et nous ramène à une autre époque. Il faut une manipulation pour brancher une ligne fibre quand il en faut d'innombrables pour brancher une ligne cuivre. Sans compter le temps qu'il faut pour s'y retrouver au milieu de tous ces câbles qui arrivent dans des réglettes avant d'être reliés à des DSLAM, là où tout commence pour une ligne cuivre. On en restera là, car il n'y a qu'un technicien Orange pour s'y retrouver au milieu de cette immense machine vieillissante.
Cela va sans dire, "les coûts de maintenance sont immenses pour une technologie hors d'usage et utilisée par très peu de monde", explique Eric Grand. Et sans parler de la consommation d'énergie : le réseau cuivre est trois à quatre fois plus énergivore que le réseau fibre. Passer de l'ADSL à la fibre optique, c'est donc aussi "répondre à un enjeu environnemental".
Au final, "fermer le réseau cuivre, cela relève du bon sens", conclut Eric Grand.
Adieu jarretières, réglettes, têtes de transport et autres DSLAM. "Au total, ce sont des milliers de tonnes de cuivre qui vont partir dans une filière de recyclage avant d'être réinjectés dans l'industrie. Même chose pour l'acier et tout le reste", anticipe Eric Grand. Bien conscient que les vols de cuivre sont un fléau qui rapporte beaucoup d'argent aux voleurs, il n'en dira pas plus, si ce n'est qu'Orange a mis en place "un process sécurisé".
Avec la flambée du cours du cuivre, la fin de l'ADSL devrait rapporter pas moins de 8,8 milliards d'euros, selon une estimation faite par le journal La Tribune. Mais, "ce chantier est entièrement financé par Orange et notre enjeu est d'arriver à l'équilibre économique", tempère Eric Grand.
Bientôt, dans les 21000 NRA de France, dans les rues de Rennes, comme dans celles de 35000 autres communes, un immense chantier va s'ouvrir. Avec lui, c'est l'une des grandes pages de l'histoire des télécoms qui va être tournée. Mais personne ne va réellement s'en rendre compte. Car d'ici là, presque tout le monde sera passé à la fibre. Et personne ne s'en plaindra.