Sur le parvis de la gare, il y a quelques jours, ils sont une trentaine à être réunis derrière une banderole qui interroge : "C'est quoi la 5G ?". Ils ont répondu à l'appel du collectif Alter-Ondes 35, qui a réussi à fédérer un assemblage hétéroclite de plusieurs associations anti-5G, parmi lesquels Les ColocaTerre, qui milite pour la transition écologique, l'AUTIV, qui rassemble des citoyens soucieux des transports en commun et de l'environnement, ou encore l'AALGA, qui s'oppose notamment aux compteurs Linky, et la Confédération bretonne pour l'environnement et la nature. On est loin de la caricature des destructeurs d'antennes et de la théorie du complot. Selon les manifestants, le réseau mobile 5G soulève de nombreux enjeux et inquiétudes autour de la santé, de l'environnement et de la démocratie. Le lieu de la manifestation n'a pas été choisi au hasard. En effet, la 5G est actuellement expérimentée dans la toute nouvelle gare de Rennes.
5G : une nouvelle menace pour les électro-hypersensibles ?
Le visage recouvert d'un voile et avec leurs vêtements doublés d'un film blindé pour faire barrage aux ondes, on devine aisément que Sophie et Hélène, respectivement commerciale et graphiste de profession, sont des personnes électro-hypersensibles. Pour elles, ce blindage est "indispensable". Si elles l'enlèvent, elles font "de la tachycardie" et ressentent diverses douleurs, "comme si on avait la tête dans un étau ou comme si on nous enfonçait des clous dans les yeux". Entre autres symptômes, avec la sensation d'être "en permanence fatiguée". "Être électro-hypersensibles, cela revient à vivre en marge de la société", témoigne Sophie. Depuis janvier, cette commerciale exerce sa profession depuis son domicile. Elle n'a "pas le choix". "Je ne supporte plus le WiFi dans les hôtels, les antennes-relais qui sont partout, et le bluetooth dans la voiture", énumère-t-elle.
Si les deux femmes sont contre la 5G, c'est avant tout pour des questions de santé. Elles sont convaincues qu'avec la 5G, "le niveau d'exposition aux ondes va augmenter", il pourrait "même doubler" avec la multiplication des antennes, et elles ne veulent pas "vivre encore un peu plus en marge de la société", confie Hélène qui dit avoir été obligée de vivre deux mois dans une cave pour éviter les ondes... Pour Philippe Martin, Président d'Alter-Ondes 35 et informaticien chez... Orange, "les personnes électro-hypersensibles sont des sentinelles" : "elles vivent par anticipation ceux que tout le monde va vivre si on ne fait rien".
Dans la manifestation qui se déroulent devant la gare, sous le nez des voyageurs tantôt indifférents ou sensibles à la cause, tous redoutent de potentiels graves effets sanitaires avec la 5G. En effet, en 2011, l'OMS a classé les ondes électromagnétiques dans la catégorie des cancérogènes "possibles" pour l'homme. Elle précise également que "la recherche n'a pas pu fournir des données étayant une relation de cause à effet". À l'époque, rappelle Claude Bossard, un spécialiste des ondes électro-magnétiques, retraité de chez... Orange, "on disait la même chose de l'amiante et du tabac. On a vu ce que ça a donné". Or, prévient-il, "les ondes modifient la perméabilité de la membrane hémato-encéphalique, ce qui augmente le risque de tumeur".
Et si on appliquait le principe de précaution pour la 5G
De toute évidence, "il faut appliquer le principe de précaution". Sauf que, "encore une fois", avec la 5G, "on met la charrue avant les bœufs", regrette Philippe Martin. C'est pourquoi, il réclame un moratoire sur la 5G. "Le gouvernement, les opérateurs, les industriels, les lobbys..., ils font les choses dans leur coin", dénonce-t-il, appelant un débat public sur la 5G. Avec les élections municipales qui ont propulsé des candidats Europe Écologie les Verts à la tête de plusieurs grandes villes, dont Bordeaux, Lyon, et Besançon, et la maire socialiste de Nantes qui appelle également à un moratoire sur la 5G, Philippe Martin a "bon espoir". "Il y a une ouverture", veut-il espérer. Jeudi dernier, dans une interview à France Info, Stéphane Richard, PDG d'Orange, s'est montré conciliant, estimant qu'"on ne va pas forcer les Français, et les maires en particulier, à accepter quelque chose dont ils ne veulent pas". Néanmoins, rappelons que les maires n'ont pas autorité pour refuser l'implantation d'une antenne-relais. Or, le gouvernement s'est opposé à un moratoire sur la 5G.
Certes, le gouvernement a commandé une mission à l'Anses pour étudier l'impact de la 5G sur la santé. Mais, ses résultats ne sont pas attendus avant la fin du premier trimestre 2021... Soit plusieurs mois après la commercialisation de la 5G. "Cela arrive trop tard", regrette Philippe Martin, occupé à distribuer des tracts aux voyageurs qui entrent et sortent de la gare. Catherine, une infirmière à la retraite de 66 ans, va même plus loin. Elle aussi militante au sein de l'association Alter-Ondes 35, elle ne fait "pas confiance à l'Anses", "pas plus qu' à l'OMS", et souhaite "une autre étude, indépendante celle là".
Les informations communiquées mercredi dernier, devant la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, par Olivier Merckel, chef de l'unité Évaluation des risques liés aux agents physiques de l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) ne sont pas de nature à la rassurer. En effet, le déploiement de la 5G se fait dans la bande des 3,5 GHz. Or, explique Olivier Merckel, "on a beaucoup de données qui correspondent jusqu'à environ 2,5 GHz. À 3,5 GHz, on n'a rien parce qu'on a très peu de déploiement dans cette bande-là. Les ondes interagissent très différemment avec le vivant selon les longueur d'onde". Et Olivier Merckel de prévenir : "La 5G aura à peine commencé à se déployer donc on ne pourra pas forcément répondre à toutes les questions sur l’exposition". Et de conclure son propos en disant qu'il ne faut pas attendre un avis tranché de l'Anses. "On ne peut pas démontrer qu'il n'y a pas de risque lié à une technologie. Ce n'est pas possible. On essaie de caractériser au mieux les données disponibles, les incertitudes qui y sont associées". Ceci-dit, "tous les travaux menés jusqu'à maintenant par l'Anses n'ont pas mis en évidence de risque avéré lié aux téléphones portables". C'est ce qu'on appelle souffler le chaud et le froid...
L'impact de la 5G sur l'environnement
L'impact de la 5G sur la santé, ce n'est pas le seul grief des anti-5G qui voient aussi dans le nouveau réseau mobile une atteinte à la biodiversité. "Une étude récente a montré que les insectes exposés au rayonnement 5G ont une augmentation de leur température corporelle", avance Philippe Martin. Sauf qu'elle a été menée en prenant comme hypothèse de travail une fréquence maximale de 120 GHz, alors que la 5G n'utilisera pas des fréquences aussi hautes. La bande des 26 GHz est prévue pour la 5G et la bande des 86 GHz est seulement envisagée, au maximum. Soit. Mais, Philippe Martin redoute qu'on aille "au delà", "potentiellement jusqu'à 300 GHz".
En outre, pour les manifestants, la 5G va à l'encontre du développement durable. Comme l'indique la banderole qu'ils ont déployée, ils dénoncent "une guerre des métaux rares et la défiguration de la planète par l'exploitation de mines polluantes", "un scandale humanitaire avec des dizaines de milliers d'enfants qui travaillent dans des mines de cobalt pour les smartphones", ou encore l'"obsolescence programmée des smartphones" en état de fonctionnement et qu'il va falloir remplacer pour en acheter de nouveau, compatibles avec la 5G. Et ce n'est pas tout. À en croire Philippe Martin, "la 5G sera à l'origine d'une augmentation minimum de 2% de la consommation d'énergie du pays", "pour une consommation énergétique totale représentant entre 3 et 4 fois la quantité, d'énergie du trafic aérien".
Mercredi dernier, cette question s'est aussi invitée à la table ronde du Sénat consacrée à l'impact de la 5G sur la santé et l'environnement. Hugues Ferreboeuf, directeur du projet "Sobriété" au think thank The Shift Project a admis qu'avec la 5G, il va y avoir "une augmentation de la dépense énergétiques des opérateurs par 2 ou 2,5 d'ici quelques années s'il s'agit d'avoir en 5G le même degré de couverture géographique qu'en 4G". Farouche opposant à la 5G, Stéphen Kerckhove, délégué général d'Agir pour l'Environnement, une association qui a déposé un recours devant le Conseil d'État pour obtenir un moratoire sur la 5G, s'est de son côté montré plus virulent : "La 5G, c'est le streaming, la voiture autonome et l'Internet des objets. Quand le PDG d'Intel dit qu'un million de véhicules autonomes exigerait autant d'échanges de données que trois milliards de personnes connectées..., cela veut dire que nous sommes à la veille d'une explosion de transmission de données et donc une consommation accrue d'énergie et un bilan carbone dégradé". Voilà qui est dit.
Les anti-5G ou le rejet d'un nouveau modèle de société
Au delà des effets redoutés de la 5G sur la santé et l'environnement, les manifestants expriment leur rejet d'un modèle de société, symbolisé par la 5G et dont ils ne veulent pas. François, 31 ans, se présente comme un artiste écrivain. Il voit dans la 5G, "une atteinte à la démocratie". "Regardez ce qui se passe en Chine, où la 5G est instrument de flicage de la population, avec un contrôle permanent de la société. C'est un modèle de société comme ça qu'on souhaite avoir en France ?", interroge-t-il. "Je refuse ce monde-là, plutôt mourir". Moins jusqu'au-boutiste mais tout aussi véhémente, Catherine, 65 ans, militante pour Greenpeace, est formelle : "On n'a pas besoin d'avoir un frigo connectée qui nous dit quand faire les courses ou d'un autre objet connecté qui nous rappelle de fermer les volets à la nuit tombée". "Je ne veux pas d'une société déshumanisée, martèle-t-elle. La 5G, c'est juste une histoire de fric. Et tant pis si je passe pour une utopiste ou une idéaliste".
Après trois heures d'une manifestation sans heurts, Philippe Martin replie sa banderole et conclut : "Si on y va, on ne pourra pas faire machine arrière". Pas certain que le gouvernement entende son appel.