Mais que font les enfants sur leur smartphone ? Question qui hante nombre de parents face à une génération immergée dans les usages en ligne : conversations, échange de photos et vidéos, fiction, jeux…. Face à des comportements qui interrogent, et parfois inquiètent les adultes, Céline Cabourg et Boris Manenti, journalistes à L'Obs, se proposent de décrypter les « codes » qui régissent ces « vies secrètes » bâties de l’autre côté des écrans… Témoignages d’ados, de professionnels de la santé et de l’enseignement viennent éclairer cette enquête avec un objectif : mieux comprendre pour mieux accompagner.
Le portable, facteur d’intégration
Constat de départ : le petit écran connecté est devenu la clé de voûte des vies d’ado, à la fois « couteau suisse » et « cerveau central » de leur quotidien. S’ils sont en permanence recroquevillés sur leurs écrans, au désespoir de certains parents, c’est parce que ces machines leur permettent non seulement de se divertir (jeux, vidéos sur Youtube, Netflix ou autres…), mais aussi de préserver et étoffer le lien social.
Ainsi, ne pas avoir ce précieux terminal peut se révéler, dès l’entrée au collège, un facteur d’exclusion. Des conversations aux divertissements, une grande partie de leurs interactions se déroule en effet en ligne. Conséquence : plus de 90% des ados (et 28% des 9-10 ans) sont aujourd’hui équipés d’un mobile, et 87% d'un smartphone, selon les derniers chiffres du Credoc, repris dans le Baromètre du numérique 2016 de l'Arcep. Assorti, bien souvent, d’un mini-forfait à quelques euros : de quoi rester en contact avec les parents... et se connecter à volonté en wi-fi.
Réseaux sociaux à tout faire
Le travail des deux journalistes permet notamment de saisir dans toute sa diversité la pratique des ados sur les différents réseaux et services de messageries. Avec, pour chacune de ces plates-formes, des spécificités qui conduisent leurs utilisateurs à s’y comporter différemment et à les utiliser à des fins bien précises. Les adolescents boudent notoirement Facebook, trop fréquenté par leurs aînés, mais plébiscitent son Messenger, qui fluidifie leurs conversations, ou encore la messagerie Whatsapp. Snapchat, avec son système de messages éphémères, est le lieu privilégié de la conversation entre amis de confiance, et de la chronique intime et drôle du quotidien. Enfin, des réseaux « ouverts », comme Instagram ou Twitter, voient les jeunes utilisateurs se frotter au vaste monde, et prendre part, d’une manière ou une autre, au débat public au sens large.
Dangers sur les portables : des jeunes pas dupes...
Entrer dans cette agora numérique, c’est tenter d’accrocher un peu de cette popularité à laquelle aspirent la plupart des adolescents, à un âge marqué par la quête de l’estime de soi. Et c’est donc s’exposer, avec les risques que cela implique : jugement, discriminations, harcèlement, mauvaises rencontres, confrontation à la pornographie ou aux images violentes... Autant de situations difficilement vécues par certains, et pouvant parfois connaître des issues tragiques.
Des cas extrêmes qui ne doivent pas faire oublier que les jeunes utilisateurs apprennent en général rapidement à maîtriser les codes et bonnes pratiques des réseaux. Et ce d’autant plus qu’ils gagnent en maturité, le collège restant à cet égard la période la plus délicate. L’essentiel étant qu’ils ne se retrouvent pas seuls lorsque survient la difficulté.
...et des parents à impliquer
Aux adultes désarmés par la « dépendance » au portable, et inquiets des dérapages en tous genres, les auteurs, avis de psychiatres à l’appui, recommandent donc le dialogue plutôt que la sanction. Pour mieux comprendre ce que leurs enfants font sur leur appareil. Mais aussi parce que l’interdit entraîne fréquemment, au mieux des tensions, au pire des pratiques de contournement. Qui, pour le coup, excluent totalement les adultes de la boucle. Impossible, alors, d’accompagner ces jeunes utilisateurs dans l’apprentissage de l’interaction sociale au sein de ces dimensions nouvelles.
Il est pourtant crucial de les guider vers un usage raisonnable du smartphone – sont notamment soulignés les risques engendrés par une consommation excessive, en particulier les troubles du sommeil. Et aussi une utilisation raisonnée, face au flux d’informations qui se présente à eux, pour qu’ils apprennent à vérifier, recouper et débusquer rumeurs et intox, un sujet brûlant depuis quelques mois (attentats terroristes, présidentielles aux Etats-Unis et bientôt en France…). Volet sur lequel la communauté éducative est également mobilisée, comme le rappellent plusieurs enseignants interrogés.
Le smartphone, « fenêtre sur le monde » ?
Car, explorée à bon escient, cette ouverture sur l’autre et l’ailleurs peut aussi faire circuler un air d’idées nouvelles, et devenir un salutaire instrument d’émancipation. Se pourrait-il alors que le portable ne soit finalement que le nouvel outil permettant aux ados d’accomplir la « transgression » qu’appelle cet âge où tant de bouleversements se jouent, entre construction de l’identité et quête d’autonomie ?
C’est en tout cas l’avis de plusieurs psychologues, à l’instar du spécialiste des usages numérique Michel Stora. Leur appareil constitue une « fenêtre sur le monde », un espace de liberté que les jeunes ont « ouvert depuis leur chambre », confiait-il à L’Express en décembre 2014. « Plus on est inquiet, plus on les empêche de transgresser, plus on les pousse à transgresser ». Plus facile à dire qu’à faire, objecteront certains parents, mais les auteurs insistent : dialoguer et s’intéresser, sans être intrusif, à ce que les ados font – et sont – sur leur smartphone reste la clé d’un accompagnement constructif et apaisé.
« Portables : la face cachée des ados », par Céline Cabourg et Boris Manenti, Flammarion, 239 pages, 19€