Il n’y a pas qu’en matière de fiscalité que les GAFA dérangent. Si Google, Apple, Facebook, Amazon et consorts font régulièrement la Une en raison de leurs stratégies acrobatiques pour payer moins d’impôts, leur impact sur le paysages audiovisuel national est également scruté de près. Fort de son ambition de « faire de l’univers numérique un univers de confiance », le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) entend bien garantir, dans ce cadre, « la préservation de la diversité culturelle, le pluralisme des médias, la protection des mineurs et des consommateurs et le développement économique du secteur ». Une préoccupation que l’organe de surveillance formule dans un nouveau rapport intitulé « Plateformes et accès aux contenus audiovisuels - Quels enjeux concurrentiels et de régulation ». Avec, à la clé, 10 domaines de réflexion identifiés.
Les « plateformes » : un fourre-tout d’Apple à Snapchat, mais sans Netflix
Première difficulté : définir ce qu’est véritablement une plateforme. Dans la forêt d’intermédiaires numériques qui s’immiscent entre l’utilisateur et le contenu, le CSA a décidé de restreindre le périmètre de son étude aux « plateformes qui assurent une fonction d’intermédiation entre le contenu audiovisuel, les internautes et d’autres groupes d’utilisateurs tels que les annonceurs ». Tombent donc dans cette catégorie réseaux sociaux, sites de partage de vidéos, magasins d’applications et moteurs de recherche, détaillent les sages, soit Google et son satellite Youtube, Apple, Facebook, Amazon, Snapchat ou encore Dailymotion.
Une définition qui exclut d’emblée Netflix, assimilé, non à tort, à un simple « revendeur ». Si le service américain de vidéo à la demande n’est pas le moindre trublion de l’audiovisuel numérique, son mode de fonctionnement (pas de publicité et financement de contenus originaux) ne le place pas directement dans la ligne de mire du CSA, du moins sur le plan économique.
Recettes et financement : changer la donne
Car l’une des principales préoccupations du Conseil reste la fragilisation de l’écosystème audiovisuel français, alors que « les plateformes numériques captent une partie significative de la valeur créée au détriment des autres acteurs ». Pour résumer, le CSA s’inquiète du transvasement des recettes publicitaires des acteurs traditionnels vers ces nouveaux entrants « dans un contexte où le marché global de la publicité en France n’augmente pas ». Et bascule de plus en plus vers Internet, qui, au 1er trimestre 2016, a dépassé pour la première fois la télévision en tant que destination n°1 des investissements publicitaires, selon L'Observatoire de l'e-pub du Syndicat des régies Internet (SRI). Et sur la seule pub digitale, les GAFA raflent la mise, avec un total de 68% des recettes sur la période !
Il faut dire que ces derniers bénéficient d'un atout certain : la maîtrise de la publicité ciblée, qui les rend beaucoup plus séduisants que la TV aux yeux des annonceurs. Ce grâce à l’absorption des données utilisateurs, qui échappent en revanche aux éditeurs des contenus distribués par ces plateformes. Si l’on ajoute à ce déséquilibre le volet financement de la production, auxquelles les acteurs traditionnels prennent une part beaucoup plus large que les plateformes, on obtient le tableau d’un système économiquement inéquitable, que le CSA craint de voir se pérenniser faute de régulation.
Google et Apple, fossoyeurs du pluralisme ?
Au-delà de la stricte question financière, le CSA est dans son rôle lorsqu’il questionne les aspects plus politiques liés à l’emprise croissante des plateformes, qu’il s’agisse des questions de modération ou de propriété intellectuelle, pour lesquelles des acteurs comme Facebook ou Youtube sont régulièrement montrés du doigt. Le Conseil se pose également la question de l’uniformisation des offres de contenus, soulignant notamment l’omniprésence d’Android sur les terminaux, ou encore la captivité des éditeurs de contenus vis-à-vis des magasins d’applications Google et Apple. Il s’inquiète d’une manière générale du « pouvoir de prescription des plateformes», susceptible de nuire à la diversité culturelle et au pluralisme. Les sages aimeraient ainsi que la froideur de l’algorithme de personnalisation puisse être tempérée par « une part d’aléa » qui contribuerait à l’« ouverture au monde », mais se garde en revanche de toute allusion à l'instauration de quotas.
Pas vraiment de solution au niveau national
Au final, sur l'ensemble des 10 enjeux listés ci-dessus, l’autorité de surveillance n’a que peu de réponses à apporter, constatant que les plateformes « échappent à la régulation sectorielle » et que « le cadre juridique audiovisuel tel qu’il existe actuellement n’est que partiellement applicable ». Relevant que les problématiques soulevées par les plateformes tiennent notamment à leurs « fortes positions de marché », le CSA renvoie la balle aux autorités de régulation sectorielle et aux autorités de concurrence. A elles de garantir une possible remise en cause de la mainmise des GAFA sur la distribution de contenus par de nouveaux acteurs, mais aussi « le maintien du pouvoir des utilisateurs ». Sans compter que le caractère mondialisé des plateformes rend « vaine toute appréhension de leur activité au niveau national »...
La réponse européenne attendue
Sur les questions de financement de la création, de protection des droits d’auteur ou de diversité culturelle, le Conseil se tourne donc vers Bruxelles, où différents règlements sont en préparation. La directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) imposerait ainsi aux services de vidéo à la demande (SVOD) de proposer au moins 20 % d’œuvres européennes dans leurs catalogues - on repense ici à Netflix - et de contribuer financièrement à la création.
Autre chantier : la réforme du « paquet droits d’auteur », qui vise à faciliter la distribution de contenus hors du pays d’origine, tout en redonnant du poids aux éditeurs de contenus face aux plateformes afin de mieux négocier leurs droits. Mais la version proposée il y a quelques jours par la Commission est encore loin de satisfaire les acteurs de l’audiovisuel, qui craignent un effet pervers : la diminution de leurs recettes... et donc un affaiblissement supplémentaire face aux champions américains. Du côté du gouvernement français, on réclame également de Bruxelles « une réponse plus concrète et ambitieuse » à ces enjeux.