Alors que les négociations exclusives entamées le 14 mars dernier s'achevaient vendredi, le Conseil de Surveillance de Vivendi a décidé samedi midi "à l’unanimité, de retenir l'offre d’Altice/Numericable qui correspond au projet industriel le plus porteur de croissance, le plus créateur de valeur pour les clients, les salariés et les actionnaires".
Pour s'offrir le premier opérateur alternatif français, Numericable aura été obligé de casser sa tirelire plus que prévu. Les termes de l'accord sur la vente de SFR prévoient le versement de 13.5 milliards d'euros en cash ainsi qu'une participation de Vivendi de 20% au capital du nouvel ensemble Numericable/SFR. Cette opération valorise donc SFR autour de 17 milliards d'euros.
Pourquoi le groupe Vivendi n'a-t-il pas choisi l'offre de Bouygues (15.5 milliards d'euros de liquidités et 5% de capital) ? Les risques d'opposition des autorités administratives étaient bien trop élevés selon Vivendi. Interviewé par Les Echos, son PDG, Jean René Fourtou, explique qu'"un rapprochement avec Bouygues aurait créé un groupe avec 47% de part de marché en valeur dans le mobile, ce qui était intenable au plan de la concurrence".
De son côté, Patrick Drahi, le président fondateur d'Altice, estime que "le rapprochement de SFR et Numericable créera le champion français du Très Haut Débit et de la convergence fixe-mobile, une tendance sectorielle qui se confirme partout en Europe et dans le monde".
En effet, le nouvel ensemble pèsera lourd dans le paysage télécom français avec 21.3 millions de clients mobiles et 6.5 millions d'abonnés Internet (dont 5.2 millions chez SFR). Le nouvel ensemble pourra s'appuyer sur le premier réseau très haut-débit fixe (Numericable compte 10 millions de prises câblées dont 5.2 millions sont déjà modernisées), et sur le plus gros réseau ADSL dégroupé (6300 centraux dégroupés par SFR).
Du côté du mobile, SFR dispose d'un réseau pratiquement aussi dense que celui d'Orange :
- 99.2% de la population couverte en 3G+ (99.7% en 2G)
- 75% en Dual Carrier (H+ jusqu'à 42 Mbit/s)
- 50% de couverture 4G (1200 villes)
Quelles sont les conséquences de la vente de SFR à Numericable ?
Pour Numericable, le rachat de SFR était une opération stratégique nécessaire mais coûteuse. Malgré le soutien des banques et une augmentation de capital, la nouvelle entité sera endettée à hauteur de 11.6 milliards. Il faudra donc que les économies d'échelle attendues au niveau de la rationalisation des dépenses et des investissements portent rapidement leurs fruits. Un pari que les investisseurs semblent raisonnable si l'on en croit le cours de l'action Numericable (+15% à10H30 ce matin).
Pour Bouygues Télécom, la situation se complique. Avec "seulement" 2 millions d'abonnés ADSL et Fibre et 11.1 millions de clients mobiles, Bouygues se retrouve isolé en position intermédiaire coincé entre Orange/SFR d'un côté et Free de l'autre Paradoxalement, les efforts déployés par Bouygues pour racheter SFR en vain pourraient favoriser sa propre mutation. Restera-t-il indépendant ou se mariera-t-il avec un prétendant (Iliad ou opérateur étranger) ?
Du côté d'Orange, Stéphane Richard a pris acte de la décision de Vivendi tout en précisant qu'il resterait "vigilant". Il faut dire que SFR/Numericable représente désormais un challenger de taille, le seul d'ailleurs qui puisse véritablement concurrencer Orange sur le créneau de la convergence fixe/mobile.
Pour Free, la décision de Vivendi est un revers. Si Bouygues avait emporté la mise, le groupe de Xavier Niel aurait en effet récupéré une bonne partie du réseau mobile et des fréquences de Bouygues pour la modique somme d'1.8 milliards d'euros. Désormais, Free doit continuer à tracer sa route seul en construisant patiemment son réseau mobile.... ou bien se rapprocher de Bouygues. Mais dans ce cas, ce n'est pas un chèque d'1.8 milliards d'euros que Xavier Niel devra signer mais sans doute 3 ou 4 fois plus.
Enfin, pour Vivendi, la vente de SFR est une victoire indéniable. Les surenchères de Bouygues ont obligé Numericable à suivre et ont permis à Vivendi de dégager plus de liquidités, tout en se ménageant une réserve de 20% dans le capital du nouvel ensemble. Le désengagement de Vivendi dans les télécoms est presque achevé. Désendetté et prochainement dirigé par Vincent Bolloré, le groupe peut désormais se concentrer sur les médias et voir venir grâce à une confortable réserve de cash.