Enfin, si le "pirate" continue à télécharger et partager illégalement des oeuvres protégées et qu'il se fait encore repérer par l'agent d'un ayant-droit, il verra sa connexion à Internet coupée, sans possibilité de se réabonner ailleurs.
Avec plus de 6170 euros net perçus chaque mois, l'on aurait pu espérer que les sénateurs, dont la carrière et le passé ont généralement prouvés leur intelligence, auraient plus travaillé sur ce dossier crucial qu'est la mise en place de l'autorité Hadopi.
Leur mandat long de 6 ans et leur élection au suffrage indirect les rend imperméables à la conjoncture et ils n'ont pas à craindre d'être impopulaires auprès du gouvernement en exprimant leur désaccord par leurs voix et leurs votes, ce qui rend d'autant plus décevant leur effacement lors des débats.
Il est malheureusement apparent que la plupart des sénateurs n'ont pas su, ou pas voulu, chercher des informations plus loin que celles apportées par les lobbys, le gouvernement et les cafés parisiens. A leur décharge, il faut signaler la finesse tactique du gouvernement, qui a fait débattre "en urgence" sur ce sujet, en chamboulant les plannings et en ne prévenant les sénateurs que trois petits jours à l'avance.
Du côté des "industries culturelles", pour reprendre la très belle expression du site officiel "J'aime les artistes", des artistes, dont il serait inconvenant de comparer le "produit" de certains à celui d'une usine de travail à la chaîne, le gouvernement avait, lui, des chiffres à proposer. Pour promouvoir l'Internet civilisé cher au président, Christine Albanel a évoqué les 450000 téléchargements illégaux journaliers qui nuiraient aux entrées en salle.
Pire, le prix moyen des nouveautés aurait diminué d'un tiers. Les consommateurs seront sûrement très touchés par cet argument de la baisse de prix, qui a une influence sur leur "pouvoir d'achat".
Selon la ministre, "Lorsque la reproduction mécanique est apparue, nous avons inventé la rémunération pour copie privée et le droit de reprographie. Lors de l'explosion des radios libres, nous avons créé la rémunération équitable." Apparemment en panne d'idées propres à rémunérer les artistes en taxant les nouveaux outils, et notamment le peer to peer, ce gouvernement aura, donc, choisi la sanction.
Les choses auraient toutefois pu être pires si la France s'était engagée sur les traces des États-Unis, de la Norvège, de la Nouvelle-Zélande ou du Royaume-Uni. Dans ces pays, des accords entre les fournisseurs d'accès et les ayants droit permmettent d'accabler les consommateurs. L'un des plus beaux exemples étant celui de Jammie Thomas, victime d'un système disproportionné.
Il faut croire qu'un système américain capable de faire payer 220,000$ une personne ayant partagé illégalement 24 morceaux de musique peut exercer de la fascination, puisque, comme le fait remarquer la ministre avec envie, les ventes dématérialisées "représentent désormais déjà plus de 25 % du marché aux États-Unis", contre à peine 7 % en France.
A ce chiffre, il faut opposer deux faits. Tout d'abord, la part dématéralisée du marché n'est pas un indicateur fiable de sa bonne santé : pour des raisons culturelles et historiques, le marché européen est plus attaché au concret que celui des Etats-Unis. De plus, les cours de marketing nous enseignent que, si les habitudes de consommation aux Etats-Unis sont, à terme, semblables aux nôtres, elles les précèdent généralement d'une ou plusieurs années.
Un tel décalage n'est donc, en lui-même, ni inquiétant, ni lourd de sens.
Le problème, pourtant, n'est pas une question de fond : le téléchargement illégal d'oeuvres protégées par le droit d'auteur, sans l'accord des ayant-droits, est une forme de vol et mérite, selon la tradition juridique et sociale française, d'être sanctionnée comme telle. De même, personne ne remet en question la nécessité d'aider les créateurs à vivre de leur travail et l'intérêt de la culture, même dans ses pans que l'on n'apprécie pas.
Le problème est une question de forme : qui est impliqué dans l'application de la loi et à qui s'applique-t-elle ?
La question de la personne visée dans l'application de la loi a fait, et c'est heureux, son apparition au Sénat, par la voix de mme Catherine Morin-Desailly. Il n'est que trop évident qu'une adresse IP est beaucoup plus simple à falsifier qu'une carte d'identité, ne serait-ce que par le passage par un proxy. Faire reposer une présomption de culpabilité sur l'internaute, à charge pour lui d'apporter des preuves contraires, c'est bien trop complexe pour la majorité des surfeurs qui, il faut le rappeler, restent novices pour ce qui est des arcanes d'Internet et de l'informatique.
Mme Alima Boumediene-Thiery a évoqué un second problème dans ces propos : "Vous nous proposez cependant un dispositif qui évince le juge et s'appuie sur des procédures ne séparant pas la fonction d'instruction et la fonction de poursuite. L'Hadopi aura une vocation régulatrice, préventive, certificatrice, répressive et même prescriptive... Bref, c'est un objet juridique non identifié." L'Hadopi sera, à en lire les textes, une sorte d'administration... avec probablement la froide efficacité de tant d'autres administrations, sans prendre suffisamment en considération l'humain se cachant derrière chaque "pirate" sanctionné et chaque connexion coupée.
Pour leur vote favorable, les sénateurs n'ont, semble-t-il, pas eu de contreparties, de garanties. Les DRM, le calendrier des sorties sur les différents supports et tous ces inconvénients n'ont été évoqués que pour les oublier assez vite, malgré leur importance dans le phénomène de piratage. Il faut croire que nos sénateurs pensent tous, comme M. Michel Thiollière, qu'il n'est pas besoin de carotte, et que le bâton est suffisant pour obtenir des pirates qu'ils laissent se développer "une Europe qui compte dans le monde, une Europe lumineuse, une Europe de la culture"...
Pour finir sur une note plus joyeuse, des efforts ont toutefois été faits pour éviter une partialité trop grande de l'Hadopi en faveur des ayant-droits. Un rapport annuel devrait être présenté par cette autorité administrative indépendante, et ses membres seront, au moins sur le papier, indépendants.