Selon le journal Les Echos, une réunion entre Orange et Alcatel a été organisée la semaine dernière au Ministère de l'Economie et des Finances, le ministère de tutelle de Fleur Péllerin en charge de l'économie numérique.
Les propositions ne concerneraient pas un rachat global d'Alcatel Submarine Networks mais plutôt la vente de certains actifs. La fabrication des câbles transcontinentaux de fibre optique à l'usine de Calais resterait dans le giron d'Alcatel. En revanche, l'activité "câbles de télécommunications sous-marins" pourrait être cédée à France Télécom Marine (voir notre reportage sur la pose de câbles sous marins).
Alcatel dispose d'une flotte de 6 navires câbliers parmi lesquels les "sisterships" île-de-Bréhat, île-de-Sein et île-de-Batz, des câbliers de 140 mètres construits au début des années 2000.
Aux prises avec des difficultés financières considérables, Alcatel-Lucent a rapidement besoin de liquidités pour faire face à ses échéances en 2013. La vente d'une partie d'Alcatel Submarine Networks pourrait rapporter 150 millions d'euros.
Une éventuelle acquisition par France Télécom Marine serait indéniablement un atout stratégique pour Orange qui doublerait sa flotte de câbliers du jour au lendemain, d'une part, et qui serait en mesure de remporter davantage de contrats, d'autre part, au moment même où les besoins en bande passante explosent.
Le timing est d'ailleurs plutôt bon pour Orange qui vient d'annoncer la mise en service du câble sous-marin ACE qui relie la France à Sao Tomé et Principe (au large du Gabon). Après cette première tranche de travaux (13000 kilomètres de câbles), la seconde phase du raccordement (4000 km de fibres optiques vers l'Afrique du Sud) est actuellement en cours.
Les capacités opérationnelles d'Alcatel Submarine Networks seraient bien utiles pour France Télécom Marine qui a récemment perdu un de ses câbliers, le Chamarel, ravagé par un incendie au large de la Namibie et désormais en cours de démantèlement. Bien que France Télécom Marine a déjà signé la commande d'un nouveau câblier d'une valeur de 60 millions d'euros aux chantiers STX (en Norvège, pas à Saint Nazaire), quelques navires supplémentaires renforceraient la disponibilité de la flotte de France Télécom et permettraient à Orange de se positionner sur d'autres océans (le Pacifique ?) et donc d'autres marchés.
Le rachat des activités de pose et de maintenance de câbles sous-marins d'Alcatel par Orange aurait, par ailleurs, du sens du point de vue politique, voire même au plan géostratégique. Sur un marché mondial du câble sous-marin estimé à plus de 2 milliards de dollars, les concurrents de référence se comptent sur les doigts d'une seule main :
- Tyco Telecommunications (Etats-Unis)
- NTT World Engineering Marine Corporation (Japon)
- S. B. Submarine Systems Co (Japon)
- Global Marine Systems (Royaume-Uni)
- E-Marine (Emirats Arabes Unis)
La croissance continue des volumes de données échangées nécessite toujours plus d'infrastructures. Par conséquent, les opérateurs internationaux investissent pour renouveler les câbles posés dans les années 80 et 90 et doper leurs capacités de bande passante. Sans oublier bien entendu la pose de nouvelles artères pour désenclaver des régions mal desservies telles que l'Afrique.
Le continent africain intéresse en effet particulièrement Orange. La part du chiffre d'affaires du groupe réalisée en Afrique augmente rapidement. Ce relais de croissance compense largement le ralentissement de l'activité en Europe. En investissant dans les câbles sous-marins, et donc dans la connectivité à l'échelon mondial, Orange maîtrise ainsi la chaîne de distribution numérique de bout en bout - des serveurs jusqu'au modem - et protège un avantage stratégique convoité.
Du point de vue opérationnel (rajeunissement et développement de sa flotte), financier (diversification des revenus du groupe) et économique (marché porteur en plein croissance), le rachat d'une partie d'Alcatel Submarine Networks par Orange serait logique. Avec la polarisation de plus en plus marquée d'Internet autour des géants américains (Google, Apple, Facebook...) et des équipementiers asiatiques (Huawei, ZTE...), la création d'un poids-lourd européen des câbles sous-marins ne ferait pas de mal !