L’ampleur de la sanction est sans précédent au niveau mondial pour une infraction de cette nature : le « gun jumping », littéralement le faux départ. Soit le fait d’entamer des démarches de rapprochement entre entreprises avant même que les autorités de régulation de la concurrence aient donné leur accord. Lors du rachat de SFR puis de Virgin Mobile, Altice était ainsi largement sorti des starting-blocks avant de recevoir l’aval des régulateurs. Rappelant qu’il devait à l’époque aller vite, le groupe admet avoir fauté. Conséquence : une amende certes record, mais très en deçà de ce qu’il risquait.
SFR plaide la « bonne foi »
« Une première en Europe et dans le monde, par l’ampleur des pratiques sanctionnées et le niveau de la sanction infligée », souligne l’Autorité de la concurrence, qui n’avait encore jamais eu à sanctionner une entreprise pour « réalisation anticipée d’une opération de concentration ». L’enquête de l’Autorité a permis d’établir qu’Altice était intervenu à tous les niveaux dans la gestion de SFR sans attendre le feu vert de l’Etat sur ces acquisitions, intervenu le 30 octobre 2014. Des pratiques « qui visaient à rendre la nouvelle entité opérationnelle aussi rapidement que possible après l'autorisation de l'opération », s’est défendu SFR Group, jugeant qu’elles ont été « mises en œuvre de bonne foi et dans un contexte juridique incertain ».
Gaffes à tous les étages
L’institution, qui s’appuie notamment sur des perquisitions réalisées dans les locaux de SFR, a mis au jour des interventions d’Altice dans les décisions commerciales de SFR. Alors que l’acquisition du groupe au carré rouge venait d’être annoncée (le 5 juin), le PDG d'Altice Patrick Drahi en personne aurait ainsi obtenu dès le 4 juillet 2014 le retrait d’une promotion sur une offre fibre avant son terme. L’émergence de l’offre commune SFR/Numéricable sur le réseau câblé est également pointée du doigt : elle a vu le jour le 18 novembre 2014, quelques jours seulement après le « oui » de l’Autorité de la concurrence, alors que le lancement de cette nouvelle gamme avait manifestement nécessité « plusieurs mois de préparation intensive ».
Sont également reprochés les « échange d’informations stratégiques généralisés » ou encore l’approbation au plus haut niveau par Altice de décisions concernant les investissements dans le déploiement de la fibre ou la renégociation de l’accord de partage de réseaux mobiles avec Bouygues Telecom. Sans oublier les concertations entre les deux entités en vue du rachat d’OTL, dont l’intégration au sein de la maison Drahi s’est, du reste, accompagnée d’infractions du même ordre.
La HAC après l’AMF
Conséquence : une amende inédite de 80 millions d'euros infligée solidairement à Altice et SFR Group, et qui aurait pu s'avérer bien plus lourde encore (jusqu'à 5% du chiffre d'affaires). En reconnaissant leurs torts, Altice et SFR sont parvenus à la contenir dans des proportions raisonnables, qui, a posteriori, les confortent sans doute dans leur stratégie transgressive.
Le groupe a peut-être été plus embarrassé par une autre décision, celle, rarissime, signifiée début octobre par l’Autorité des marchés financiers. Cette dernière avait purement et simplement rejeté l’offre publique d’échange (OPE) proposée par Altice pour mettre la main sur les 22,5% de SFR qu’il ne possédait pas encore.
Motif : un manque de précision dans l’offre proposée aux actionnaires minoritaires, qui ne disposaient pas, selon l’AMF, d’une information « complète, compréhensible et cohérente » pour estimer si l’OPE était dans leur intérêt. Le blocage de cette opération constitue un revers pour le groupe, qui aurait pu réaliser de substantielles économies, en s’emparant de la portion de capital qui lui manquait à un moment où le cours de la société était très bas.